PETER LIECHTI (1951-2014)
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Peter Liechti, Sismographe

BERTRAND TAPPOLET, Le Courrier, 3 septembre 2011

A la frontière poreuse entre cinéma d’un réel recomposé et autofiction intime, le réalisateur suisse Peter Liechti oeuvre avec bonheur dans le domaine de l’expérimental comme dans celui de l’essai.

Nus pieds, l’homme s’excuse du chantier en cours dans son appartement. Il ouvre la porte-fenêtre sur un jardinet avant de refluer devant l’assaut de la touffeur extérieure. Le jardin, un motif phare de son univers filmique. Jusqu’au dernier projet en cours sur l’image qu’il se tisse de ses parents. «Qui témoigne pour le témoin?», s’interroge Paul Celan. D’où ce désir pour Le Jardin de mon père, au sous-titre – le déclin de l’Occident – puisé chez Oswald Spengler, de se faire le sismographe d’un monde qui n’est plus. Enregistrer et interroger ses ascendants. Quitte à mettre ailleurs en abyme et théâtraliser les situations. «Tu veux nous immortaliser», lâche ainsi maman, au détour de Hans im Glück (Jean le bienheureux, 2003). Ce que dessine le jardin, c’est une ligne de séparation entre ce qui est propre à soi (Hölderlin) et le rapport à l’autre que l’on accueille chez soi. Tout le cinéma de ce natif de Saint-Gall tient peut-être dans le balancement entre ces deux pôles.

IMMOBILITÉ ÉLUE

Après ses premiers pas comme professeur de dessin formé à la zurichoise Université d’Art et de design, Liechti reconnaît volontiers avoir été inondé de l’intérieur par le surréalisme buñuélien autant que par la confusion des repères de l’espace et du temps chez David Lynch et son Inland Empire, éloge terrible et fabuleux de la planète cinéma. En 2009, Le Chant des insectes s’inspire d’une nouvelle de Shimada Masahiko, basée sur une histoire avérée. Sans le recours à aucune image corporelle, le film décrit la mort volontaire par inanition d’un quadragénaire anonyme réfugié au coeur d’une forêt. On voit une symbiose entre deux états de conscience, réel et imaginaire, dans cette exigeante invitation à explorer le matin des choses plutôt que leur nuit.

Le réalisateur aurait voulu être musicien. Ainsi, il imagine de palimpsestes canevas auditifs, tuilant sons urbains et naturels à des compositions originales. Ces dernières peuvent évoquer l’univers métissé d’un Fred Frith, tant elles transcendent genres et classifications, mêlant free jazz avant-gardiste, électro expérimentale, rock progressif et nappes méditatives. Tout devient matière à exsuder la peau sonore d’un monde: bourdonnement des insectes, signature venteuse, pluie percussive sur bâche plastique. Avec Hardcore Chambermusic (2006), la dramaturgie visuelle prend soin de cartographier et rendre visible, tant la dynamique d’écoute réciproque des musiciens que la pensée sonore du moment inscrite dans l’espace.

Pour le film noir Marthas Garten (1997) défilent, entre fantasmes et fantômes, les souvenirs de Liechti: les expériences de sculpture temporelle éphémère menée par Roman Signer; l’héroïne infirmière fatale qui leste son sillage de fausses pistes à la Hitchcock. «L’atmosphère fantastique devient presque naturelle, face à un quotidien qui touche au dérisoire et à l’expérience minuscule comme chez l’écrivain Robert Walser», souligne son auteur.

UN PRÉCIPITÉ DE VIE

A l’instar de Ausflug ins Gebirg (Excursion dans les montagnes, 1986) et Hans im Glück, des flâneries quasi circulaires innervent l’écriture filmique, lui donnent son rythme et son allure, en font une manière d’être et de se perdre. Peter Liechti glisse à la surface de l’univers comme il le fait d’une pensée à l’autre, sans transition, au hasard des rencontres, des choses vues, des impulsions du dehors ou du dedans. Une parole vagabonde nous entraînant dans le roulis incessant des sensations envahissant toute la conscience. Parole qui vaut par l’atmosphère mélancolique et l’humour discret qui s’en dégagent. Cinéma faisant son miel du petit théâtre du quotidien, du pur apparaître, des paysages, d’un détail.

Néanmoins, Liechti reconnaît «souffrir sous l’habit de réalisateur, car le fait de tourner est rien moins que spontané. D’abord, le frisson associé à la promenade se cristallise dans l’émergence de multiples micro-événements autour de soi que vous égarez en permanence. En chemin, j’ai ma caméra et mon bloc, où je peux inscrire quelques pensées. Ensuite, architecturer un film se tient à l’opposé de l’impression spontanée originelle qui l’a vu naître. Construisant un récit par petites pierres imagées collectés lors du voyage, la réalisation est le précipité de plusieurs années de vie.»

Dans Hans im Glück, sorte de walking movie en forme de carnet de voyage, le rythme de l’errance combine l’observation directe presque entomologique avec un commentaire ironiquement distancié et critique, qui n’est pas sans évoquer l’écriture d’un Matthias Zschokke. L’opus ramène dans ses filets toute une réflexion désabusée et détachée sur une suissitude et la mort attendue, voire joyeusement souhaitée chez des êtres croisés au crépuscule de leur vie. A la racine du déplacement, il y a un adieu volontaire à une habitude devenue dégoût: la cigarette. Le randonneur de Suisse orientale qu’est Liechti constate que la nicotine ne borde plus une pensée qui s’étend et palpite à l’infini, jusqu’à épuiser l’être.

REPENSER LE CINÉMA

L’homme d’images a signé l’an dernier l’ouvrage Lauftext (littéralement, «texte défilant»). En l’espèce, une sorte de journal de bord et tentative d’auto-ethnographie. Liechti y revisite, rebrasse et cristallise nombre de matières et trames narratives du cinéma qu’il pratique maintenant depuis un quart de siècle. «Le terme laufend exprime à la fois un processus permanent, le fait d’être en route intérieurement, et physiquement, de marcher face à un paysage. Ce double sens épouse tel un aperçu mon travail filmique». Et le réalisateur voyageur de détailler: «Certains de mes opus s’inscrivent dans le genre road movie, tant l’idée de laufend ouvre sur la réalité d’être en chemin. Le Chant des insectes, lui, insiste physiquement sur une situation unique et singulière. Mais mentalement, le film suit le changement quotidien d’un état perceptif, sensoriel et corporel.»

Repenser le cinéma depuis le point de la sensation, retrouver l’horizon de ses possibles dans l’expérimentation concrète du réel, des affects qu’il délie: ce serait le chantier ouvert depuis Ausflug ins Gebirg. Dans un paysage largement dominé par le réalisme, le roman, le docu-fiction, la narration classique et son trio exposition-conflit-dénouement, Peter Liechti apparaît comme l’un des derniers poètes. Un marcheur ironique et walsérien du cinéma. Un incomparable arpenteur de panoramas et paysages intimes.

 

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 Books, Editions 
»Peter Liechti – DEDICATIONS« (Scheidegger&Spiess Zürich, 2016)
Peter Liechti: »Klartext. Fragen an meine Eltern« (Vexer Verlag St.Gallen, 2013) *)
Peter Liechti: »Lauftext - ab 1985« (Vexer Verlag St.Gallen, 2010) *)
Peter Liechti: Waldschrat. Sechsteilige Fotoserie (Vexer Verlag St.Gallen, 2011)

 By Peter Liechti 
Carte Blanche Peter Liechti (Jahresbericht ARF/FDS 2011; deutsch)
Carte Blanche Peter Liechti (Rapport annuel ARF/FDS 2011; français)
«Viel zu wenige Künstler stürzen ab» (Peter Liechti im Gespräch mit Marcel Elsener)
»Kinodokumentarfilm – Fernsehdokumentarfilm« – Text zur Rencontre ARF/FDS 2006 von Peter Liechti
«Le documentaire de cinéma – le documentarie de télévision» – Texte pour la Rencontre ARF/FDS 2006 de Peter Liechti
Es boomt um den Schweizer Film, von Peter Liechti, Neue Zürcher Zeitung, 30.Juni 2000
Dunkle Stirnen, helle Geister, von Peter Liechti, Tages Anzeiger, September 1997

 About Peter Liechti 
Von Menschen und Hasen (Alexander Weil in www.literaturkritik.de)
Im weitesten Winkel (Bert Rebhandl in FRIEZE)
The Wanderer (Bert Rebhandl in FRIEZE)
Die Kunst des Abschieds (Christoph Egger, Ansprache Gedenkfeier St.Gallen
Konfrontationen mit dem innern Dämon (Christoph Egger, Nachruf in der NZZ)
Der Einzel-, Doppel- und Dreifachgänger (Christoph Egger, Filmbulletin 1/2014)
Im Luftschiff mit Peter Liechti (Tania Stöcklin, Katalog Solothurner Filmtage 2014)
En dirigeable avec Peter Liechti (Tania Stöcklin, Catalogue Journées de Soleure 2014)
Open-Ended Experiments (Matthias Heeder, Katalog DOK Leipzig 2013)
Offene Versuchsanordnung (Matthias Heeder, Katalog DOK Leipzig 2013)
Peter Liechti, Sismographe (Bernard Tappolet, Le Courrier, 3 septembre 2011)
Laudatio auf Peter Liechti (Fredi M. Murer, Kunstpreis der Stadt Zürich)
Landschaften, befragt, mit Einzel-Gänger (Christoph Egger, Laudatio Kulturpreis St.Gallen)
Kino zum Blättern? Jein! (Florian Keller)
Das grosse alte Nichts heraushören – und es geniessen (Adrian Riklin)
«Sans la musique, la vieserait une erreur» – Collages et ruptures pour Peter Liechti (Nicole Brenez)
Tönende Rillen (Josef Lederle)
The Visual Music of Swiss Director Peter Liechti (Peter Margasak)
A Cinematic Poetics of Resistance (Piero Pala)
Aus dem Moment heraus abheben – Peter Liechtis Filme (Bettina Spoerri, NZZ, 19.8.2008)
Sights and Sounds – Peter Liechti's Filmic Journeys, by Constantin Wulff
Letter from Jsaac Mathes
Passage durch die Kinoreisen des Peter Liechti (Constantin Wulff)
Gespräch mit Peter Liechti (Constantin Wulff)
Tracking Peter Liechti's cinematic journeys (Constantin Wulff)
Interview with Peter Liechti (Constantin Wulff)
Interview zu »Namibia Crossings«, in: Basler Zeitung, 23.9.2004
Dokumentarische Haltung. Zu »Hans im Glück«, in: NZZ, 2004
Jäger, Forscher oder Bauer, Interview von Irene Genhart mit Peter Liechti, Stehplatz, April 1996
Excursions dans le paysage, de Michel Favre, Drôle de vie, numéro 8, Dezember 1990
Duckmäuse im Ödland, von Marianne Fehr, WoZ Nr.21, 23.Mai 1990

  Diverses 
Gedenkanlass im Filmpodium Zürich -- in Vorbereitung

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*)
 Inhalt Peter Liechti: «Lauftext – ab 1985» 

Sprechtext zum Film AUSFLUG INS GEBIRG, 1985
Zwei Versuche aus dem Jahr 1987
«Unrast», Arbeitstexte zu MARTHAS GARTEN, 1988 ‑ 1989
Reisenotizen aus den USA, 1990
Logbuch 1995 ‑ 1997
Logbuch 1998 ‑ 1999
Reisenotizen aus dem Südsudan, 1999
Recherchen Namibia, Rohtexte zu NAMIBIA CROSSINGS, 1999
Erstes ungekürztes Marschtagebuch zu HANS IM GLÜCK, 1999
Logbuch 2000 ‑ 2001
Zweites ungekürztes Marschtagebuch zu HANS IM GLÜCK, 2000
Drittes ungekürztes Marschtagebuch zu HANS IM GLÜCK, 2001
Logbuch 2002
Logbuch 2003
Logbuch 2004
Logbuch 2005
Logbuch 2006
Logbuch 2007
Logbuch 2008
Logbuch 2009
Logbuch 2010 (bis Mai)


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